vendredi 13 juin 2014

Les trois « W » du World-Wide Web appellent les trois « M » d’une Méthodologie Massivement Multidisciplinaire

Je suis responsable de l’équipe de recherche Wimmics, chercheur et représentant d’Inria au WC3 mais ce que je vais dire ici n’engage que moi, un citoyen du web.

Le Web est devenu ce que nous en connaissons aujourd’hui avant tout parce que son architecture est celle d’une plateforme universelle, gratuite, décentralisée et ouverte.

L’architecture du Web est fondamentalement ouverte jusqu’au cœur de ses trois composants de base, à savoir:

  • des adresses ou identifiants ouverts qui font que l’on peut parler de tout sur le Web.
  • des langages ouverts qui font que l’on peut tout dire sur le Web.
  • des protocoles ouverts qui font que l’on peut communiquer sur le Web avec tout.
Pourquoi parle-t-on maintenant de plateforme web là où avant on parlait de pages web et de sites web et donc essentiellement de documents ?

Nous voyons tous que les pages web deviennent plus belles, plus interactives, plus puissantes, plus... applicatives.

Des langages comme HTML5, CSS3 ou JavaScript sont maintenant au cœur de la plateforme du Web. Avec leur intégration nous tournons définitivement la page d’un web perçu comme une toile documentaire, pour une toile de programmes liés entre eux. Chaque page est potentiellement une application, un service à l’utilisateur ou à un autre logiciel. Le Web relie toujours des documents mais aussi, et de plus en plus, des données, des logiciels, des objets. Le web est définitivement devenu une plateforme standardisée d’applications ouvertes sur internet.

Le panel des technologies du Web couvre toutes les dimensions d’une application et notamment:

  • L’accès aux ressources matérielles: géolocalisation, gyroscopes, caméras, NFC, ...
  • Les interactions multimédia: audio et vidéo, graphiques, animations, 3D.
  • Les interactions multimodales et indépendantes des terminaux: changement de résolutions, adaptation des claviers virtuels, analyse et synthèse de voix, interactions tactiles, vibration, applications web mobiles...
  • Les communications: client-serveur, en temps réel, pair à pair, sockets, ...
  • La sécurité : les clefs, les signatures, le cryptage, l’identité, l’authentification
  • Le traitement automatique des données: l'interopérabilité des formats, intégration des données, la sémantique de leurs formats...
  • etc.
Nous sommes passés de l’idée « D’écrire une fois et publier partout » à l’idée « De coder une fois et utiliser partout ». 

Cette plateforme du Web est constituée de technologies libres de droits qui permettent à tout le monde d’implémenter et publier un nouveau composant du Web sans avoir à obtenir ou à s’affranchir de licences. Ces technologies non-propriétaires et indépendantes du domaine d’application permettent une innovation ouverte et distribuée à l’échelle mondiale.

Si à travers les standards nous concevons l’architecture du web, sa nature participative fait que l’objet Web qui en émerge est ouvertement co-construit à l’échelle mondiale. Ceci en fait l’un des artefacts les plus complexes qu’ait produit l’humanité. Cette complexité lui donne à la fois richesse et difficulté. D’une certain façon nous ne connaissons pas le Web, ou si peu. Nous concevons son architecture mais l’objet Web qui en émerge et évolue à chaque instant nécessite d’être étudié et suivi dans toutes ses évolutions.

De plus, si le web est décentralisé en principe, il peut être recentralisé en pratique par les outils qui s’y déploient. La vigilance reste donc de mise. La concentration des applications, la mise en silo des données et toute forme de recentralisation par une organisation doivent être évitées autant que possible, l’intérêt d’une organisation n’étant pas toujours l’intérêt public.

Car le Web est d’intérêt public. L’ouverture du Web est d’intérêt public. Et c’est un enjeu à la fois d’architecture technique et de gouvernance du Web. Au-delà de la consultation, et même de la contribution de contenus, il nous faut tendre vers une participation plus complète des intéressés du Web, vers une gouvernance multi-participative. 

L’ouverture du Web, c’est l’ouverture d’esprits,... au singulier et au pluriel. Le Web est devenu un des artefacts très puissants de notre cognition située, de  notre intelligence augmentée. Se pose donc comme un enjeu majeur la préservation de cette nouvelle capacité cognitive. Et se pose aussi l’enjeu de préserver activement ses soutiens, notamment le consortium W3C qui donne au web un forum ouvert et des experts veillant sur son avenir.

Le Web est maintenant utilisé par 40% de la population mondiale. C’est à la fois colossal, près de 3 milliards de personnes. Et c’est aussi un rappel de l’un des enjeux majeurs de l’ouverture du web à savoir donner l’accès aux 60% qui n’ont pas accès au web, soit plus de 4 milliards de personnes. Il est important de ne pas écarter et au contraire de réduire la fracture numérique. Au-delà des technologies, ouvrir le Web c’est donc aussi promouvoir des outils et méthodologies permettant d’assurer que le web s’ouvre bien à tous. Je parle ici d’accessibilité, d’internationalisation, de mobilité, de multilinguisme, etc.

En établissant une conversation mondiale le web participe considérablement à l’établissement de la liberté d'expression. Garder le web et son architecture ouverts c’est aussi se donner une chance de préserver cette conversation mondiale qu’il a établie. 

Cette plateforme mondiale ouverte du Web appelle des évolutions dans toutes les dimensions de nos sociétés (juridique, économique, politique, etc.). Et notamment pour assurer un juste équilibre entre le bien des individus et le bien des collectifs.

La perception du Web doit une fois pour toute dépasser sa nature et son évolution initialement techniques pour aller vers le développement réellement pluridisciplinaire du web qui est la seule façon pour lui d’atteindre son plein potentiel.
 
Pour cela je suis convaincu que les trois « W » du World-Wide Web appellent les trois « M » d’une Méthodologie Massivement Multidisciplinaire.